Dove Allouche




Vers un nouvel indice du geste

Dove Allouche poursuit depuis une vingtaine d’années ses explorations inter et intrasidérales. Il arpente les abstractions sensibles de l’espace et du temps par différents moyens, à différentes échelles de grandeur et de profondeur, amenant au jour dans ses images de nouveaux indices de perception. Parcourant terre, étoiles, forêts et spectres, vers l’intérieur ou du dehors, il retrouve dans les minéraux des analogies avec nos gestes, passant outre notre vieille idée de l’histoire.
Les œuvres présentées à la galerie gB ce mois de septembre 2020 font le point sur un état de circulation entre l’infini dehors, l’infini dedans et le milieu dans lequel les phénomènes apparaissent à l’image.

L’exposition réunit des œuvres issues de trois séries récentes : les lignes d’absorption, tirages photographiques au platine décomposant en dégradés de gris verticaux des signaux lumineux ; les repeints, tirages photographiques agrandissant des prélèvements effectués dans l’épaisseur de Primitifs Italiens du Louvre, une immersion reversal, vue de gaz à la surface du soleil dessinée au carbone d’après photographie.

Les œuvres sont disposées en contrepoint, alternant noir & blanc et couleur outrée. 

Ces trois approches déclinent chacune une distance indicielle à l’objet montré et procèdent d’un grossissement du minuscule ou d’un rapprochement du lointain par les voies de l’optique. Ces points de vue sont rendus possibles par les instruments qui ramènent les objets visés dans le champ du visible (télescope, microscope) et par la photographie qui donne l’image de référence en même temps qu’elle permet de les ramener sur un plan commun : tirées aux mêmes formats, les photographies d’objets microscopiques présentent des qualités sensiblement équivalentes à celles d’objets immenses réduits aux dimensions de l’image photographique, non loin d’Héraclite qui trouvait au soleil la largeur d’un pied.

Pour Dove Allouche, rendre visible ce que l’on ne voit pas ne consiste pas à chercher un au-delà qui se tiendrait ailleurs. Plutôt qu’une métaphysique, c’est une physique des corps qui détermine le rapport à l’objet et oriente le processus de révélation des images. C’est en appliquant un filtre à ce qu’il ne voyait pas encore que Dove Allouche découvre et ajuste l’échelle de visibilité qui obtient dans la nouvelle image ce qui n’apparaissait nulle part.

Pour ce faire, il se rend sur les sites pressentis, au bout du monde si besoin ou par descente au microscope, le plus souvent accompagné de ceux qui introduiront le mieux l’axe de recherche. Il précise alors objet, cadre, ligne d’action, protocole et modalités de réalisation des images. Ici avec les repeints : prélèvements en laboratoire de particules de Vierges, soumission de ces particules à l’optique, analyse sous différents angles, choix des fragments qui porteront l’idée, réflexion sur le passage à l’image, essais de tirage à plusieurs échelles. Et ceci jusqu’à l’obtention comme par alchimie de nouveaux indices aux confins de la physicité des corps.

Voici en quoi consiste cette alchimie et ces indices : les fragments prélevés dans l’épaisseur de la peinture  retrouvent sous l’objectif des qualités qui rappellent visuellement leur origine picturale : étendue, granulosité variable, sédimentation des couches. Entrés dans la profondeur du geste réduit à un point, nous retrouvons visuellement des indices du mouvement entier (commencé avant et poursuivi après). Grossi un million de fois, le fragment de peinture évoque encore la lente constitution couche après couche de la peinture, laissant imaginer hésitations et relâchements des gestes d’application de la couleur. La peinture à ce point ne s’est pas appliquée de manière égale et uniforme. On peut déceler dans l’infime des micro-arrêts, des hésitations, des reprises, comme si le geste pouvait se subdiviser indéfiniment et chacun de ses moments constituer un aperçu de son code génétique. On voit distinctement que le geste est traversé à chaque micro-moment d’une multitude d’inflexions, d’accélérations, de ruptures, qu’il recèle la pensée entière.

La temporalité d’un geste peut se lire dans l’étendue d’un corps, même minuscule. A ce point limite de la matière informée s’éprouve sensiblement l’impression  d’une zone frontière vers l’indifférenciation de l’espace et du temps, comme s’ils formaient à l’horizon la circonférence d’un même cercle. Cette indissolubilité  résulte d’un processus de réduction récurrent dans la démarche de Dove  Allouche : qu’elles soient spatiales ou temporelles, les distances sont ramenées à une dimension commune indexée sur la perception du proche. Ainsi réduites, les distances à l’ère géologique (au plus loin dans le temps),  à la surface du soleil (au plus loin dans l’espace) ou à la profondeur d’une particule  tendent à s’assimiler dans un même corps, qui est aussi celui de l’image. On comprend mieux comment la notion d’année lumière peut exprimer une distance spatiale avec une unité de temps.