Wols Circus
Avant sa mort, il me fit savoir qu’il comptait sur moi pour continuer son œuvre (Wols).
Wols (1913-1951) : Musicien, mécanicien, photographe, graveur et peintre, auteur d’un testament égaré. Dans sa jeunesse allemande, il fut violoniste avec une prédilection qui ne le lâcha plus pour Bach. Plus tard à Paris, il échangea son violon contre banjo, bandonéon et harmonica, et continua de jouer Bach et ses petites compositions avec ses instruments d’homme des rues. Comme Klee, il cultiva un lien intime entre musique et dessin, l’un entraînant l’autre. De la musique de Wols il ne reste rien, de même qu’il ne reste à peu près rien de Circus Wols, cet important texte perdu qui tenait lieu de synthèse de ses activités dans leurs rapports réciproques, et qui nous donne la partition de Wols Circus. Ce texte, c’était aussi la mission qu’il s’était donné d’écrire à la place de Leo Frobenius, l’ami disparu.
Dans les quelques tentatives qu’il fit de ramasser sa vie en quelques lignes, Wols résume ainsi Circus Wols : “Pendant un an de concentration la nécessité m’est advenue de généraliser tous mes problèmes dans le but inconnu de ma vie ; j’ai donc créé cette hypothèse que j’appelle Circus Wols. Je crois ce nom logique car le cirque contient toutes les possibilités d’être une centrale de mes occupations, même s’il ne sera jamais réalisé”. Ce travail propose d’établir une relation entre l’art, la science, la philosophie, l’existence humaine. Recueillant tout ce qui l’entoure et le préoccupe, Wols le donne sous différentes formes (peinture, dessin, gravure, photographie, musique, notes), chacune demeurant un fragment ou une expression de ce grand tout pressenti dans la forme globale du Circus Wols. Le cirque devient l’entrée dans la danse de toutes les formes et espèces, sans distinction d’ordres: langage, musique, lumière, images, corps.
Réaliser l’hypothèse du Circus Wols : lever les frontières qui tiennent les arts séparés, en rendant sensible leur commune appartenance à ce que Wols appelle le grand tout. Aller au temps qui précède la forme, où l’artiste à soi-même ne sait pas ce qu’il va faire, jouer, danser, dessiner, aussi bien ne rien faire. Henri-Pierre Roché écrit de lui : « Quand, accroupi dans son lit, il prend sa fine plume et ses gouaches, Wols ne sait pas ce qu’il va dessiner. Pendant qu’il dessine, il ne sait pas ce qu’il dessine. Quand il a fini, il regarde et il ne sait pas ce qu’il a fait. Bien sûr, on reconnaît parfois des villes et des choses, mais ce n’est pas la question ».
Un premier acte de Wols Circus fut réalisé avec Joëlle Léandre à la maison rouge dans la salle des coiffes le 30 novembre 2011. De ce concert est tiré un disque sorti en juillet 2012 : 12 compositions pour contrebasse d’après 12 gravures de Wols réécrites comme autant de partitions. Léandre et Wols ont en partage un nomadisme qui laisse passer sans discontinuer du burlesque au grave, de Bach à ses virements outre champ. Fraternité qui appelle Joëlle Léandre à faire résonner les topographies de Wols dans la caisse de sa contrebasse. Il existe de surcroît une consonance souterraine entre leurs instruments, une tonalité commune à leur geste d’inciser, de manier la corde et de bifurquer soudain.
Un deuxième acte s’est engagé en 2014 dans l’angle ouvert par Joelle Léandre en élargissant le champ au mouvement des corps et à la parole. François Tanguy, Josef Nadj et Joelle Léandre se sont retrouvés sur un plateau de la Fonderie au Mans pour convoquer ensemble l’esprit de Wols. Pourquoi Josef Nadj et François Tanguy ? Parce-qu’ils travaillent à quelques matières luminescentes qui soutiennent la mémoire et empêchent le monde de disparaître. Parce-qu’ils ont en commun de faire revenir ce qui persiste du geste, de l’espace, de la parole, du corps, de susciter ce retour de la chose défaite de son ressort. C’est cette recherche qui les lie à Wols, leur participation au même mouvement constellatoire qui anime le cirque de la mémoire profonde. Parce qu’aussi Wols fut le chantre improvisé de l’époque sombre où le nazisme et la guerre barrèrent l’horizon et qu’il en reste un arrière-plan sourd dont on se demande s’il n’est pas devenu notre condition. Ainsi partant des ses gravures et de leur echo initié à la contrebasse, les trois échangeaint mots et chapeaux jusqu’à ne plus savoir ni qui ni comment. Dans cet entrelacs de gestes, de mots et de musique s’esquissait une langue commune reposant sur l’abandon des prérogatives de chacun et le devenir autre. La contrebasse pouvait passer de main en main et Joelle Léandre jouer des vibrations d’un placard métallique pendant qu’un autre attrapait dans l’air d’invisibles mouches. L’histoire perdait connaissance et se retrouvait ici et là, par bribes dessinant les errances de Wols. Son fantôme se tenait là, dans ce va-et-vient de la gravure à ses empreintes dérivées dans des corps devenant musique: correspondances entre ce qui est arrivé et ce qui revient de ce qui est arrivé, entre ce qui s’est joué et ce qui hante, empreinte que laisse ce qui a été perçu et qui se retrouve ailleurs.
Pour que ma petite usine marche
(banjo, dessin etc…)
Il faut que je sois constamment dans un état (zéro) (neutre ou nul ou vide)
de demi-maladie
demi-ivresse
demi-tristesse
folie demi-sage (demi-folie enchantée)
en évitant toute préméditation
le moindre dérangement de cet équilibre me dérange ou m’empêche.