Ce n’est pas une succession d’expositions et d’événements que nous envisageons mais la continuation d’un espace/temps déjà engagé, avec des glissements et des retours. Rien qui commence, rien qui finisse : les mêmes questions et les mêmes œuvres remises en jeu avec d’autres, et la musique pour traverser le corps commun et sceller les flux. Giacinto Scelsi , Morton Feldman et György Kurtág sont toujours présents, joués ou non.

La résidence de Laurent Derobert et sa chambre d’embarquement rue Veron ont vu passer depuis novembre 2017 une centaine d’invités qui ont chacun décliné une dimension de leur odyssée. Chaque jeudi et parfois la semaine entière les occupants de la chambre ont installé un rituel ouvert sur la rue où chacun pouvait inventer la forme d’un monde possible. Les méditations sur ma mort future de Froberger (jouées par Martin Perenom) ont souvent donné l’ouverture.

Il reste de ces passages un effet de constellation dont les éclats maintiennent la carte d’un monde qui aurait eu lieu : une arche cristallisant des courants de vie dans les parages de l’art sans en chercher ni donner les noms. La galerie s’est installée dans un battement où les invités de la chambre traversent et creusent cette carte. Qu’ils soient comédiens, astronomes, musiciens, critiques d’art, hommes du commun, philosophes, peintres, écrivains ou autres, ils jettent du bois dans le même feu. L’art n’est pas une destination. C’est l’horizon qui nous destine.

Le dessin pariétal et l’autisme donnent un paradigme fort pour avancer cette carte. Les vaches millénaires et si précises sur les parois laissent leur raison muette et résistent aux assauts du langage. Elles émettent des signes clairs mais indéchiffrables, des signes transmis dans la nuit noire suivant une loi intransgressable du silence, des signes qui restent des indicateurs sans égal dans le paysage brouillé des arts.
Le silence, il est difficile de le qualifier. Le mot recouvre une multitude d’acceptions qui ne résonnent pas au mêmes endroits : silence de ce qui ne répond pas, silence noté dans l‘écriture musicale, silence des images, silence entre les choses jouées, silence soudain au détour d’une phrase, silence des bêtes, silence de la nuit, silence du sage, silence des espaces infinis, etc... Et aussi cette idée creusée par la tradition des lettrés chinois de trouver le silence dans le son. Autant d’occurrences dont nous cherchons  les noms.


Hélène Nicolas (dite Babouillec) n’a jamais parlé mais elle écrit. Sa langue s’écrit sans oralité et cependant laisse retentir une voix. Elle pense mais ne s’exprime pas au dehors. Cette séparation (si c’en est une) peut en faire notre guide du silence. Nous lui avons demandé d’orchestrer la lecture de ceux qui vivent dans la parole, de présenter ce partage du silence dans un dialogue à trois voix avec Henning Lohner et Laurent Derobert. « Je suis arrivée dans ce jeu de quilles comme un boulet de canon, tête la première, pas de corps aligné, des neurones survoltés, une euphorie sensorielle sans limites. (...). La tête comme un ressort sans verrou oscillant vers les quatre points cardinaux. »