John Cage




Cage a dessiné une topographie où les arts continuent d’explorer leur espace propre en même temps qu’ils se répercutent les uns dans les autres. Des amarres sont rompues et le « vieux » monde tend à se fondre dans un  flux qui brasse diversité des origines et des cultures, retrouvant, dans le chaos, des espaces originaires.

Au milieu du XXème siècle, à la suite de Duchamp, John Cage reste emblématique de ce nouvel état de monde. Ses recherches concentrent ce relâchement des frontières et intéressent autant l’histoire de la musique que celle des arts plastiques, du rapport entre les arts, ou du rapport entre les arts et le vivant. Sans chercher à s’établir sur un modèle rhétorique, sa philosophie se nourrit sans différence d’ordre des sagesses orientales, des traditions occidentales ou de la mycologie. C’est un nouvel « humanisme » qui appréhende le monde dans la diversité de ses formes et de leur rapport, et qui maintient ces rapports sans chercher à les résoudre. Ainsi du travail avec Merce Cunningham où danse et musique peuvent s’accorder en se travaillant chacun de leur coté, et où c’est leur mise en commun sur un plateau qui produit l’accord. « Pour écrire ma musique, regarder Duchamp » , écrit Cage. L’absence de rapport est motrice à la fois comme dynamique d’entrainement d’une chose quelconque par une autre et comme processus particulier à la production d’une chose à l’intérieur de son ordre. Il n’y a pas de terme assignable comme cause ou comme limite. C’est un changement d’optique (d’attitude) et un élargissement du contexte de la notion d’œuvre, qui comprend les conditions dans lesquelles l’oeuvre s’élabore et s’ouvre au contexte dans lequel elle se transmet. Ce n’est pas le langage qui décide, mais les choses elles-mêmes en jeu à l’endroit de leur percussion. Rien ne se substitue à la présence ou au geste, et c’est ultimement cette présence ou ce geste qui donnent la forme. Cette tension se rejoue indéfiniment dans le passage de rien à quelque chose et de quelque chose à rien (entre silence et son, feuille blanche et dessin, immobilité et mouvement, etc..).

La différence des arts (et plus généralement des choses) est devenue avec Cage la condition de leur ressemblance et de leur confluence, de leur aspiration à produire ensemble le point où nous sommes. Il s’agit toujours de performance, d’être là pour porter le geste, pour qu’arrive quelque chose. Pas simplement de jouer ce qui est écrit sur une partition, mais de savoir que sa lecture intègre aussi bien le contexte dans lequel elle est jouée (le lieu, le public, le bruit alentour) que la situation de l’interprète là où elle déborde l’œuvre avant même qu’elle soit abordée. L’attitude, le contexte, la situation ne sont plus séparables des œuvres. De manière sensible, cette intimation s’étend aujourd’hui dans les différentes voies de l’art. Il se pourrait même qu’elle contribue à requalifier et à ramener dans le champ de l’art des formes jusqu’ici apparentées à d’autres régions. D’un coté les arts dits plastiques, la musique, la danse ou le théâtre tendent à retrouver une exigence et un axe communs dans la performance, d’un autre des formes nouvelles tendent à entrer dans le champ de l’art via la performance. La question n’est pas seulement de l’hybridation des formes, mais plus radicalement de compenser une orientation perdue avec la remise en cause de l’autorité du langage.

Cette mutation des formes et des objets de l’art s’accentue encore dans un contexte de mondialisation qui tend à produire un cadre d’expression commune où les références et les aspirations sont partagées. On trouve là une étonnante coïncidence avec le premier âge de l’homme (préhistorique) où les règles qui présidaient au geste artistique étaient les mêmes. Comme si cette convergence dans le devenir des arts avait pour corrélat un rappel au premier plan des origines du geste, où le dessin pariétal, par sa résonnance, peut donner « le la » (diapason) à toute production artistique. Détaché de tout langage connu, le premier dessin et le silence qui l’accompagne donnent un paradigme pour appréhender l’image (et par extension d’autres formes de l’expression), comme on pourrait en trouver un autre dans la figure de l’autiste dont l’intelligence ne se reçoit pas suivant les modalités du langage mais à partir de sa propre expression «sans rapport».